17 février 2008

 

Etude Rose (The Relevance of Science Education)

Comment améliorer les études de science et de technologie? Comment y intéresser davantage les élèves? D'un continent et d'un pays à l'autre, quels sont les différences et les points communs dans ce domaine?

Initiée par la Norvège, l'impressionnante étude Rose (The Relevance of Science Education) présente un état des lieux de la question. Son enquête, auprès de jeunes d'une quinzaine d'années, ne se limite pas à des données quantitatives mais approfondit, grâce à des interviews, leurs attentes et leurs valeurs. Ce travail est élaboré par des chercheurs de 43 pays, de tous les continents. Une dizaine de doctorants en font leur sujet de thèse.

Un site transparent permet d'avoir accès aux données, aux questionnaires, aux résultats par pays, aux mécanismes de fonctionnement et à une étude comparative des points de vue des jeunes sur la science et l'éducation ainsi que de nombreux documents et analyses.

Extrait:

Dans les pays "avancés", un même constat inquiète: les jeunes optent de moins en moins pour des études et des carrières scientifiques. Comment expliquez-vous cette tendance?

Svein Sjøberg: Retournons l'argument. Qui dit que nous devions changer cette situation? Pour qui l'indifférence des jeunes envers les études de science et technologie (S&T) pose-t-elle problème? Tout le monde leur prêche que le manque de scientifiques et d'ingénieurs est préoccupant pour la société. Si c'est le cas, les forces économiques pourraient, par exemple, songer à leur offrir des postes plus intéressants et mieux payés. Ou alors, nous pouvons "résoudre" ce problème en important de jeunes talents d'Asie ou d'ailleurs, comme cela se pratique aux Etats-Unis.

Soyons honnêtes. Les jeunes ne choisissent pas leur carrière sur la base de ce que certains adultes estiment bon pour la compétitivité de leur pays… Ils se rendent compte que les scientifiques et les ingénieurs n'obtiennent pas nécessairement les postes les plus gratifiants. En outre, les études scientifiques et techniques sont exigeantes et longues, alors que d'autres filières sont plus faciles, et peut-être plus amusantes…

Camilla Schreiner: La jeunesse est généralement considérée comme une période de construction de son identité. Celle-ci s'exprime à travers les vêtements, les loisirs, le goût pour telle musique ou tel sport, les préférences dans le cursus scolaire, le comportement en classe, etc. Les choix d'études et de professions sont considérés comme des symboles porteurs d'une identité. Un designer ou un acteur a une image différente de celle d'un ingénieur ou d'un physicien.

C'est pour cela que les spécialistes de l'éducation – et les sociologies – estiment que la question traditionnelle Que désirez-vous être plus tard prend une autre résonance aujourd'hui. La réponse semble moins révéler la perception d'un travail ou d'un revenu, mais plus Qui désirez-vous devenir? Quand les jeunes choisissent des études ou un travail, ils expriment en même temps des facettes importantes de leur identité.

Mais il semble y avoir un paradoxe, en tout cas dans de nombreux pays, entre l'intérêt des jeunes pour la science – qui ressort de nombreuses enquêtes – et le choix d'en faire son métier.

S.S.: Une distinction importante s'impose. Les jeunes sont très intéressés par la science et la technologie, mais pas tellement par la S&T qu'ils rencontrent à travers leur cursus scolaire. Celui-ci se fonde traditionnellement sur la science "bien établie" – la science qui ne peut être mise en cause, et que les épistémologistes appellent en anglais le textbook science.

Le contraste est grand avec la "science réelle", dans laquelle les chercheurs sont engagés aujourd'hui, à savoir celle qui provoque de vifs débats, de nouvelles expérimentations, des tentatives d'hypothèses, des conjonctures… Il s'agit là des frontières de la recherche, où de nouveaux territoires de la connaissance se construisent, grâce à des d'êtres humains bien réels. C'est souvent cette sorte de science qui est relatée (avec néanmoins de nombreux malentendus) par les médias. Beaucoup de jeunes aiment ces sujets, alors qu'ils peuvent détester la science présentée à l'école.

Il suffirait donc de changer les programmes scolaires, de présenter de la "vraie" science et de se débarrasser des enseignements à visée encyclopédique et "fossilisés"?

S.S.: Oui, nous devons adapter et moderniser les programmes. Mais cela pose des questions sensibles. D'un côté, nous souhaitons que la science à l'école change et se tourne vers la réalité, de l'autre nous ne pouvons enseigner les démarches actuelles sans avoir les outils pour les comprendre. Idéalement, nous devrions revoir la manière dont nous enseignons le savoir de base traditionnel. Cette connaissance représente une sagesse et un recul possibles lorsque tous obstacles ont été surmontés, les conflits résolus, lorsqu'est retombée la poussière des discussions enflammées… La science classique peut paraître ennuyeuse, mais elle est la base d'une compréhension plus profonde des recherches actuelles.

En outre, aborder ces "nouvelles frontières de la science" à l'école exige certainement des efforts de la part des enseignants, dont peu sont, hélas, préparés à présenter ces sujets contemporains.

Doit-on adapter l'enseignement à l'évolution des mentalités des jeunes générations? Quelles sont les limites d'une telle démarche?

C.S.: Nous ne devons évidemment pas adapter le cursus scientifique aux tendances de la "culture jeune", aux seuls intérêts et aux valeurs des élèves. Ce n'est ni souhaitable, ni possible. Cependant, le fait de connaître les intérêts et les priorités de la jeunesse peut être un moyen de créer un lien entre l'enseignement des sciences et les horizons des nouvelles générations. S'intéresser aux valeurs des élèves ne signifie pas les adopter, mais celles-ci peuvent être un levier de discussions. La grande diversité d'intérêts des étudiants offre d'ailleurs aux pédagogues une multitude de pistes pour les intéresser à des contenus scientifiques, et également de réfléchir à leurs propres idées et leurs propres priorités.

SS: Le questionnaire Rose, par exemple, présente des éléments qui sont sans rapport avec un curriculum scientifique sérieux, et semblent les intéresser. Discuter de ce qui est et ce qui n'est pas scientifique, pouvoir distinguer entre science et parascience, est intéressant. En ce sens, un cursus de science devrait comprendre des débats sur l'astrologie, l'homéopathie, la divination, etc. Et même peut-être les relations entre la science et la religion. Mais traiter de ces sujets avec délicatesse, sans offenser ceux qui croient dans ces systèmes, n'est pas facile.

Une telle évolution de l'enseignement ne risque-t-elle pas de déboucher sur une moindre exigence, et un appauvrissement du niveau des élèves, et ensuite des étudiants?

S.S.: C'est un des nombreux défis posés. Peut-être devons-nous choisir différentes méthodes, selon l'âge et le niveau des élèves. En faisant de la "science pour tous", dans un cursus scolaire général, nous devons trouver des approches qui intéressent chacun – pas seulement les futurs scientifiques, mais aussi les futurs citoyens qui seront appelés à consommer et à voter. A ce stade, nous ne pouvons pas présenter simplement des mini-versions de la science académique. Mais à un niveau plus élevé, lorsque les élèves et les étudiants ont établi leurs propres choix, nous pouvons certainement approfondir les lois, les théories et les modèles scientifiques.

A la phrase "j'aimerais devenir un scientifique", posée dans le questionnaire de l'enquête Rose, les réponses nettement plus positives se trouvent en Afrique et en Asie. Pourquoi?

S.S.: Les différences doivent être traitées avec prudence. Dans certains pays, on rencontre une tendance à se montrer d'accord avec la plupart des propositions, dans d'autres non. Nous devons donc souvent comparer les scores relatifs et les scores résiduels quand nous analysons les données.

Mais, plus particulièrement, la volonté de devenir scientifique ou ingénieur dans les pays plus pauvres peut s'interpréter du fait de leur moindre développement socio-économique. Beaucoup d'entre eux se situent au niveau auquel se trouvait l'Europe après la Seconde guerre mondiale. Il s'agissait alors de reconstruire. Les ingénieurs et les scientifiques étaient des héros. Leur aura poussait les enfants vers les études scientifiques et techniques. Je pense qu'aujourd'hui les pays les moins avancés se trouvent dans une situation comparable.

C.S.: Il faut admettre que plus un pays est développé, moins ses étudiants souhaitent devenir scientifiques ou ingénieurs. Ces disciplines ne leur apparaissent pas suffisamment importantes et significatives. Elles semblent "hors du coup" et obsolètes. Mais il est intéressant de noter que des domaines mieux cotés – comme la biologie, la médecine et les études de vétérinaire, les sciences de l'environnement – ne souffrent pas du même manque d'étudiants. Pour ces jeunes, travailler sur des défis dans les domaines de la santé ou de l'écologie a plus de sens que de se plonger dans la physique, les maths ou la technologie.

Une autre situation paradoxale est observée dans des régions où la S&T est très développée. Dans les pays scandinaves et au Japon, par exemple, les jeunes ne sont pas seulement indifférents, mais également critiques et pessimistes vis-à-vis des sciences et des technologies.

S.S.: Là aussi, il faut être prudent dans les interprétations. Peut-être que pessimisme n'est pas le mot exact. Beaucoup de jeunes, dans les pays riches, sont moins concernés qu'ailleurs par le développement économique et matériel. Mais cela ne les empêche pas d'être très préoccupés par l'avenir. Un bon enseignement des sciences peut tenir compte de ces attitudes. Même si les solutions aux défis environnementaux ne passent pas uniquement par la S&T, nous devons montrer aux sceptiques que la science et la technologie n'apportent pas seulement des problèmes, mais qu'elles offrent aussi des solutions…

Les différences d'attitudes entre garçons et filles sont également plus marquées dans les pays industrialises. Cela vous étonne?

C.S.: La "culture jeune" est une tendance inscrite dans les sociétés occidentales, et qui n'existe pas de la même manière dans les pays plus traditionnels. Cette culture se caractérise notamment par des différences d'attitudes très marquées entre garçons et filles, désireux de marquer leur masculinité ou leur féminité. Cette différenciation interfère également dans leurs attitudes envers la science.

S.S.: Il est paradoxal, en effet, que dans des zones riches, comme la Scandinavie, où l'égalité entre genres est une des plus élevées au monde et est une priorité politique depuis des décennies, il existe une plus grande différence d'attitude entre garçons et filles que dans d'autres pays. Ces différences se marquent dans les valeurs accordées à la S&T, mais également dans de nombreux autres aspects de leur vie.

La jeunesse, c'est la société de demain. L'éventuel désintérêt, ou manque de connaissance, dans les domaines des sciences et des techniques ne mène-t-il pas à un déficit démocratique?

S.S: Certainement. Pour moi, le problème principal n'est pas le fait que les scientifiques communiquent trop peu avec les citoyens. Le grand défi de nos sociétés est réellement celui de la participation démocratique. Il importe que les jeunes (et les moins jeunes) comprennent la signification de la science et de la technologie dans notre culture, notre vision du monde, notre manière de vivre, etc. Ils pourraient ainsi avoir des attitudes "réalistes" vis-à-vis des possibilités et des limites de la S&T. Ils pourraient être constructifs et critiques envers les chercheurs et les techniciens. Ils pourraient développer une indépendance d'esprit leur permettant de distinguer entre la science "sérieuse" et les déclarations pseudo-scientifiques qu'ils rencontrent dans les médias et les publicités pour de nouveaux produits.

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